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Le Chien, blog participatif
16 février 2012

Cinquième épisode


(Ce que ne dit pas) L'énigmatique sourire des choco BN (bien plus mystérieux quoiqu'on en dise que celui de la Joconde)

 

Arrivé à Nantes, je m'arrêtais au café de la Gare. Au comptoir, j'interpellais les gens : savaient-ils quelque chose, au nom du Christ?

Je ne tardais pas à découvrir le pot aux roses : le cépage du Muscadet se nommait le Melon, tandis que celui du Gros Plant était la Folle Blanche...

 

Betty avait-elle portée son chandail rouge au pays de la La Folle Blanche ?

 

Les quelques vieux rescapés (ils étaient déjà au comptoir, comme s'ils m'attendaient, comme s'ils cherchaient à se livrer, à dire leur vérité, après toutes ces années de silence) étaient tous unanimes : après quelques verres, ils confirmaient mes soupçons...

Au temps de la General Mills, c'est à dire à partir de 1969, une mystérieuse femme, vêtue de rouge, promenait souvent, le soir venu, autour de l'usine siglée BN... Elle flânait, comme absente, en proie au tourment de la mélancolie, qui est aussi une fleur, au contraire du Melon qui est un cépage ET un fruit.

Avec elle (on la surnommait alors « La Reine des Pâtissières ») un teckel, son chien fidèle, Saucisse, son chien indiscipliné, qui finira par fuguer... vers d'autres aventures, saucisse ?

 

Au pays des BN, Betty triste laissait fuir Saucisse - il n'y a pas de contrepèterie, quoiqu'on arrive péniblement à faire Sacha Guitry avec toutes ces lettres, encore que ce ne soit pas avéré.

 

Pour eux, ces ouvriers des Biscuiteries Nantaises, l'année érotique, c'était elle, Betty-mélancolie.

 

Puis sont venus le temps du capitalisme sauvage, les rachats successifs, jusqu'à PAI Partners en 2006, fond d'investissement spécialisé dans les LBO, les Leveraged Buy-out. C'en était fini de l'érotique financière, le temps était venu pour tous des vaches maigres... Qu'il était loin le temps des cathédrales.

 

Un pincement au cœur, je rentrais chez moi... Dans le train, je regardais longtemps les paysages vendéens défiler à la fenêtre : quelle laideur, que de bouillasse, de camping... Surtout, quelque chose me taraudait : j'avais appris que, malgré les rachats successifs, les familles Cossé et Lotz étaient restées aux affaires... Lorsque le principal fondateur de la biscuiterie, Pierre Cossé, décéda en 1947, c'était son fils, Georges Cossé qui avait pris sa suite aux côtés de Raymond Lotz.

 

Raymond Lotz.

 

Le taxi m'avait à peine déposé que je me précipitais dans ma bibliothèque... C'était bien ça : par un hasard surprenant, par un hasard très surprenant, il existait une firme Brissoneau et Lotz qui avait produit au milieu du siècle des autorails, les autorails Brissoneau et Lotz – mon manuel de modélisme était formel.

 

 Ferrocarril

 

Et où me renvoyaient ces autorails ?

 

En 1951, ces autorails étaient cédés à l'Espagne franquiste, pardi. Les dernières rames espagnoles circulèrent jusqu'en 1985, année de ma naissance... Sur la ligne de Ferrocarril Bilbao-Santander.

 

Lotz m'expédiait de Bretagne en Espagne (remarquez ces deux terminaisons : agne ; Comme dans Montagne et Charlemagne). Je remontais à rebours ma Betty-des-choco-BN (de 1965, de 1972 ? Moi j'avais plutôt un faible pour la version 65) vers une autre Betty, la Betty-du-généralissime-et-de-la-General-Mills (celle de 1936 avec son visage de pasionaria et sa coupe à la garçonne, ou celle de 1955 et des Ferroccarril, avec sa vilaine trogne de rombière?).

 

 

Ma nuit fut agitée : mes rêves me ramenaient sans cesse à Betty, que je voyais (incroyable!) au bras du Torero mexicain Rodolfo Gaona dans un de ces autorails de la ligne Santander – Bilbao, filant d'une mer à l'autre, d'une plage à l'autre, d'une arène l'autre... C'était pourtant pure fantaisie : Rodolfo était rentré au Mexique bien avant les autorails, bien avant 36, bien avant Betty.

 

Au matin, parcouru de sueurs glacées, je voyais se succéder dans l'obscurité de ma chambre les images du sourire de Betty, la Betty de 1955, puis ce sourire énigmatique des choco BN...

Betty, BN, Betty... Cette lettre B.

 

 Sourire_betty

 

Les dents de Betty étaient blanches, tandis que le sourire choco BN était brun, c'est vrai. Les dents de Betty étaient Folle-blanche, tandis que le sourire choco BN était Fol-Brun – encore cette lettre B. Si proches et si dissemblables.


A 5 heures, je me levais, pris de migraines. Je jetais un coup d’œil rapide au trajet actuel du Ferrocarril Bilbao-Santander. Tout devait être pourtant devant moi...

Soudain, l'idée me vint d'isoler à l'aide d'un super-computer, ce parcours insensé (il n'allait pas en ligne droite), obsédant. Le résultat qui s'offrit alors à moi dépassait toutes mes espérances...

 

 Santander_bilbao

 

 

Évidement, une moustache !

 

De nouveau se succédaient dans ma tête, lancinants, les sourires de Betty, puis des choco BN. Une moustache sur le sourire de Betty, celle de 1955. Une moustache sur le sourire BN...

 

Je passais ensuite en revue les milliers de photo de Gonoa : il était rasé. Zéro moustache – ce qui est rare pour un mexicain, en plus. Gonoa, le Gonoa millésime 1888, le Gonoa de la plus basse température à Minneapolis voulait me dire quelque chose, me conduire à la tauromachie, je le savais, mais celui que je cherchais était autre... quelque chose dans le sourire des BN évoquait la France (Montagne, Charlemagne), ce cher pays de mon enfance... Je cherchais ce lien, ténu.

 

Le premier torero français s'appelait Pierre Cazenabe dit Félix Robert. Oui, CazeNaBe.

 

Né le 5 avril 1862 à Meilhan, il avait commencé par la course landaise.

C'était le fils d'un meunier... oui ma Betty des moulins, Betty General Mills, d'un meunier...

Puis il a pris l'alternative le 18 novembre 1894 à Valence, des mains d'El Gallo, le père du célèbre Joselito tué dans les arènes de Talavera.

 

Il était alors le premier matador français à avoir pris une alternative espagnole.

De tous les matadors il n'était certes pas le plus brillant, mais il était brave. Brave, et donc moustachu...

Ça ne m'était pas apparu immédiatement : sur sa photo la plus célèbre, datant de la confirmation de son alternative à Madrid, le 2 mai 1899, orthodoxie oblige, il avait été obligé de se couper les moustaches.

 

 Torero

 

Mais à la cité de la Gastronomie à Innsbrûck, je retrouvais ensuite ce cliché :

 Robert_BN

Il m'a simplement suffit de le confronter à cette autre moustache, celle du Ferrocarril Santander-Bilbao, superposée à un Choco BN.

 

Tout était désormais clair.

 

Plus tard, Félix Robert embarquera pour le Mexique, évidement. Il se présentera aux arènes de Mexico en 1901, puis se fixera à Ciudad Juarez... Mexique, Mexique... Je ne sais pas à quel moment Robert croisa la route de Rodolfo : au Méxique, en Espagne ? Ni celle d'Old El Paso...

 

Ce que je sais, c'est que bien vite, il traversera la frontière, et se rendra au Texas : il y fera des affaires en montant des combats de coqs, des rodéos, des spectacles comiques taurins ... Puis l'escalade : bien avant les toro-piscines, il organisera le 27 janvier 1907 un combat entre un taureau et un bison... Puis entre un taureau, un tigre et un ours en février... Chassé par la révolution mexicaine et Zappata - qui lui aussi portait la moustache, il n'y eut donc pas forcément de solidarité entre moustachus, contrairement aux idées reçues - , il s'installe avec 100 chevaux dans l'Utah... il est mort en 1916 Betty, ce torero que tu n'auras jamais connu, ce héros de l'ouest sauvage...

 

Les choses semblent parfois, rétrospectivement, si évidentes : je pouvais m’endormir désormais tranquille, t'imaginant, Betty, installée dans ce train Santander-Bilbao, cahotant, et avec toi le souvenir – le fantôme - de Félix Robert, sa photo glissée dans ton corsage et ce prospectus évoquant un spectacle qui avait dû être mémorable.

 Juarez_Bull_ring

C'est vos deux sourires envolés que la General Mills fixera sur les Choco BN, Betty-mélancolie de 1955 : toi dont le cœur vacillait au souvenir du prince des arènes – et comment ne pas succomber à cet intrépide entrepreneur en spectacle culturel, toi qui passais le plus clair de ton temps dans la solitude de ta cuisine ? C'est le sourire de Félix Robert qui t'avait fait traverser l'Atlantique, c'est lui que tu étais allée chercher à Nantes, puis tu avais fait le pèlerinage de Bilbao à Santander, ces arènes où il avait triomphé : l'autorail de la famille Lotz dessinait une moustache d'amour dans le paysage, tandis que pour l'éternité, les choco BN immortalisaient vos deux sourires conjoints, enfin réunis – on ne pouvait décemment pas faire un gâteau en forme de moustache, personne ne l'aurait mangé.

 

 

 

Chers lecteurs, retrouvez bientôt la suite des Mystères d'Old El Paso, votre feuilleton, dans vos kiosques. Le numéro du mois de février s'intitulera Comment le successeur de Pierre Boudin, dit Pouly III, une fois rangé des bagnoles s'en est-allé vendre du Pastis en Amérique du Sud.

 

 

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  • Le Chien est un blog supplémentaire ou dire des choses à plusieurs sur des sujets plus ou moins intéressants. Il n'est pas nécessaire de le lire. Ce devait être un journal, mais ca a raté. Donc c'est autre chose. Débrouille toi avec ça.
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