Du Vidourle au Verdouble (des nouvelles)

Des nouvelles aquatiques sur ce qu'il advient des punks-chiens.

Surpris dans une voiture qui grince par ton style de ferré. Retour à Sauve.

Le Vidourle était presque à sec - au printemps, et les taureaux étaient sortis, et un héron. Il y avait du crottin tout le long de la route. A Ganges plus tôt : café du siècle. Deux chibanis parlaient longtemps en arabe à la fenêtre devant un café et un midi libre. Un vieux couple lisaient Article 11 mais avaient un tas de tracts pour le Front de Gauche : ils me font un clin d'oeuil parce que je lis le même journal qu'eux, tout neuf du mois d'avril. Derrière les azulejos du comptoir, la grand-mère ramait - elle servait, et cherchait les verres qu'elle oubliait sitôt remplis : elle me prend à partie "Ou ai-je mis mon foetus". La petite-fille du patron buvait du café : elle a 9 ans.

A Saint Hypolite, Ganges, Sauve, à Sumène, surement au Vigan, les totos sont descendus de la montagne : ils ont placardé des affiches incitant à ne pas aller voter. Sur la gendarmerie il est écrit : Anarchie/Volupté/Paresse. A Montoulieu, après un cinsault, un troupeau d'Aubrac paissant, les colleurs avaient mis des Mélanchon partout : le FNJ est passé et à mis des Oui, la France, et tagué "Communistes : assassins, faillite".

Moi je suis revenu pour voter.

La haut, derrière le piémont, mes collègues sont des "indiens" - c'est comme ça que les appelle les locaux. Dans un village de 50 habitants, au carnaval : on reconnait les indiens. Ils ont une bière dans la main, ils fument des roulées, sentent le shit, sont pleins de tatouages, de dreads, de crètes. Les gens du coin les aime bien : ils sont serviables, ils sont "vaillants" (entendre ils triment). Il y a un skin à la retraite qui s'est retiré des affaires sous une fausse identité, des tondus, des chevelus, et partout dans leurs pattes des chiens et une floppée de mômes. Ils font la saison : quand ils sont payés, de la main à la main, en espèces, ils foutent le camp, où alors ils restent chez eux et se shootent, dessinent, jouent de la guitare, ou alors ils restent - parce qu'ils attendent d'avoir plus pour partir en Inde - mais surtout pas en Russie parce que c'est un "pays de merde". Ils reviendront pleins de came et de collier qu'ils iront fourgués deci delà, et ca durera un temps. Parfois je les envie, mais souvent ils reprennent le boulot l'après-midi et ce sont des loques : ils ont quarante ans, ils sont en vracs, leurs mains comme les miennes, douloureuses, les épaules démises, leur dos douloureux, ils sont défoncés, ils ont bus deux quilles en 5 minutes et au goulot. Chez eux cela sent mauvais mais on y est toujours invité - jusqu'à ce que l'un d'eux soit en rade, et rapine ses colocs, et tout le monde...

L'un d'eux deale de la coke et des fromages de chèvre bio - il revient du fromager la voiture pleine de mouches. Il a un tatouage par phalange et s'est fait effacé une croix celtique sur l'omoplate. Parfois il voudrait mettre un coup de cric dans la gueule de son patron.  Sur son portable, du oï. Sa sonnerie invite à ne pas aller voter. Ils parlent de ses collègues à lui, dans la vallée, en les appelant les "mohammed". Les derniers à encore faire les ouvriers dans les vignes à part eux - mais en moins "vaillant".

Ceci est un carignan de 1903 sur arène granitique avec casot et murs en pierres sèches, complanté d'aramon, grenache noir, gris, rose, blanc et une forme de lieu de travail

Dans les villages, ils occuppent les HLM et touchent le RSA, mais n'aiment pas l'Etat. Le soir, avec eux, on regarde dans leur canapé un film d'action américain avec Sylvester Stallone - un d'eux avait fait une tarte aux fraises, des makis, une saucisse de veau;

Quand on pioche, il y en a un -un garçon si beau... -  il connaît toutes les paroles de toutes les chansons du monde, de la variétoche à Brassens : ils nous les dit toutes et couvre le bruit des pie-vert. Un moment sur le rythme de la piquette, il entonne un hymne libertaire, et entre les gobelets de carignan centenaires on fait semblant de défiler et j'essaye de faire la majorette avec ma houe. On a bien ri. Après-manger ils rient toujours, mais je ne comprend plus : un bout de leur cerveau est parti. Je chantonne seul - mais je ne le porte pas comme eux.

Un jour bientôt, ils s'en iront. Jusqu'aux vendanges. Leurs patrons ils attendront leur retour, et les disputeront alors parce qu'ils laissent partout des canettes dans les vignes bio au moment de ramasser le raisin.

En attendant, reviendront les laboureurs à cheval : je connais une mule qui s'appelle Neu. Son maître vient de la montagne et donc sa mule devait s'appeler neige, même si elle est marron. Elle m'est intime : elle se laisse caresser l'oreille. Ma pisse quand j'ai bu sent comme sa sueur après l'effort.

Neu

Ils sont catalans, eux, et ont tous les deux un parent issu de la retirada de la république espagnole. Leurs parent étaient au PC, bien sûr, et ils ont survécu en faisant déja les manouvriers pour trois francs et un propriétaire terrien. Et puis ils ont gagné leur vie, ont eu une vigne, un bourrin etc... Les enfants montaient à cru dans la montagne pour ramener le troupeaux de chevaux sauvages. Désormais, vaille que vaille, ils disent qu'on peut toucher 2000€ de RSA. Moi, sans ressources en février, j'ai touché 50€ mais je ferme ma gueule. Leur coeur bat pour Marine.

Les patrons, vignerons bio ou natures, ils les exploitent tous en quelques sortes (et surtout les premiers) : des fois, à table, ils parlent de tout ce beau monde, mais surtout des "arabes", des "assistés". Il y en a un qui dit qu'il est un peu homo et que je suis un peu communiste. Il y a un silence interminable. On boit à six pour peut-être 500 euros de vin et de Maury. Eux on les voit jamais piocher, il ne se paye pas en retard, mais ils iront voter.

Tout est bien qui fini bien.

 ps : la buèges est encore un peu fraîche